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La Mélancolite, la nouvelle série de Bruno Blanchet | Disponible sur tou.tv dès le 27 avril!

Content Starts Coucou 18 mars

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Coucou les coucous!

Excusez-moi le délai, j’ai branlé dans le manche, et je me suis un peu pas pire accroché les pieds… Je vous ai écrit à tous les jours, oui, mais je ne l’ai jamais envoyé… Je n’arrivais à rien finir. Je partais dans des délires, et je n’arrivais pas à y mettre un point final. J’ai vite compris que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et qu’il est juste beaucoup plus facile d’annoncer qu’on va correspondre à tous les jours, que de s’asseoir au clavier pour faire du sens et des choix de photos, après 144 kilomètres de vélo et 1000 mètres de grimpe au gros soleil, autour de l’île de Phuket, à 7.95 degrés de latitude.
Il fait chaud? Calvaire.
J’ai les mollets en feu.
Littéralement!

Alors, aujourd’hui, à 600 kilomètres d’ici, il y’a quelqu’un que je ne connaissais pas qui s’est occupé de la FIN, pour moi, bravo et merci. Surprise, ça ne finit pas avec un point – ni un poing dans ce cas-ci – mais bel et bien avec… une bonne claque sur la gueule!
Voilà pour le suspense.
Bref, je vous ai écrit à tous les jours.
Je vous ai écrit qu’au Yul Krabi Homestay on s’est bien amusé. Tous les soirs, sur la terrasse, autour d’un verre, avec l’ami Mathieu, on s’est piqué des belles jasettes avec une clientèle joliment hétéroclite : deux Français à vélo qui partaient pour le Sri Lanka, un Torontois qui visitait l’Asie pour la première fois, trois Américaines avec lesquelles il était difficile de ne pas évoquer l’éléphant dans la pièce…
Je parle de Badaboum, bien entendu.
J’ai quitté la famille avec un gros pincement au cœur. Zack est incroyable. Un vrai petit diable, beau comme un ange, et drôle comme un clown. Un mini clown! Déjà muni d’un bon sens du timing dans toutes ses mimiques apprises, et puis encore plus étonnant dans ses improvisations comiques. Il me fait rire à mort.
Tu lui demandes :
– Zack, are you ready to rock and roll?
Et avec les deux mains, il fait devil, avec une moue de punk rocker, en répondant.
– Yeah, I am ready!
Il n’a pas trois ans, il connait maintenant presque toutes les consonnes de l’alphabet thaï (44), et je pense que d’ici quelques mois, il va le parler mieux que son grand-papa, le thaïlandais… En matière d’apprentissage, il a sauté une étape : de la garderie il est passé à l’école des « grands », parce que les jeux de bébés l’ennuyaient…
Et là, je ne vais pas vous agacer avec un discours de grand-père fier de son petit-fils, mais je veux juste que vous sachiez qu’il est le meilleur et le plus drôle.
Et le plus beau!
Je sais que je répète toujours la même chose…
Mais c’est parce que c’est vrai. Je le trouve juste un peu poche au UNO.
Je vous ai écrit aussi que, de chez Boris à Ao Nang, province de Krabi, j’ai sauté sur le vélo, et comme la dernière fois, traversé chez mes amis Jak et Ploy, à Khok Kloi, province de Phang-nga. Un 120 kilomètres sans histoire, avec 630 mètres de gain, mais moins agréable et 45 minutes plus lent que la fois précédente, à cause d’un affreux bout de route en construction, et d’un gros vent de face, l’ennemi numéro un du cyclotouriste.
Ça et les matins paresseux, dans mon cas…
7am est l’heure à laquelle désormais je partirai tous les jours.
Avant je trainais, souvent jusqu’à 10 heures le matin. Déjeuner inclus? Virée de buffet! Repu, envie d’une sieste? Pourquoi pas…
Mon excuse? Fallait que mon cuissard sèche.
Et puis ça créait un problème supplémentaire, celui d’être encore en train de rouler à 17 heures, ici l’heure de la journée où les chiens s’éveillent et s’énervent, et se mettent à la poursuite des farangs (et des thaïlandais aussi) à bicyclette.
Qu’est-ce qui excite autant les chiens dans un vélo? Expliquez-moi quelqu’un SVP… Parfois je pousse un peu pour les semer quand je sens que j’ai l’avantage du terrain et que je peux les battre à leur jeu; sauf que je vous recommanderais plutôt d’arrêter de pédaler, pour cibler leur focus sur les roues en mouvement plutôt que sur les chevilles, et de pointer votre pompe ou votre bouteille d’eau dans leur direction (sans les arroser parce que les arroser ça les excite et après on n’a plus d’eau); puis de leur parler, en même temps, comme s’ils étaient des bons gros toutous.
– Mais oui, t’aimes ça courir toi, hein! C’est le fun courir, oui, oui oui, viens t’en viens t’en! Vas y, jappe, dis-les toutes tes petits mots!
Je n’ai pas encore été mordu.
Or, tout ça pour dire que, pour éviter les faux départs – et les chiens -, désormais je ne mange plus le matin. Café et bye bye! Et le cuissard, je m’arrange la veille pour qu’il soit bien sec le lendemain.
Comme c’est le premier cuissard que je possède, et qu’il est sans doute la star de mes deux dernières randonnées (comme c’est agréable d’être coussiné du séant!), un soir de tendresse, je vous ai écrit l’histoire de notre rencontre, que j’ai intitulée simplement, « Mon cuissard ».
Mon cuissard
Quand j’ai acheté mon cuissard vélo, l’avant-veille du départ, mon ami Pai, le propriétaire de la petite boutique XYZ, m’a assuré que c’était le plus solide et confortable sur le marché, mais il m’a bien mis en garde que « je devais en prendre soin »…
Il savait sans doute de quoi il parlait, Pai.
Mais moi, je ne savais pas de quoi il parlait.
-Prendre soin d’un cuissard vélo… Ça mange quoi en hiver?
Et c’est là qu’il m’a expliqué qu’il ne fallait pas laver le cuissard à la machine, ne pas le frotter avec du savon, ni le tordre pour l’essorer; et qu’on ne devait jamais le mettre dans la sécheuse, ni l’exposer au soleil pour le sécher.
Ah bon. Un chausson avec ça?
Le premier soir, à l’hôtel Ibis de Hua Hin, au bout de 236 kilomètres à rouler au gros soleil sur l’accotement d’une autoroute à 8 voies – welcome dans la poussière et l’exhaust de camions lourds – j’ai retiré mon noble cuissard avec « soin », et je l’ai posé délicatement dans une eau de nature « soigneusement savonneuse ». Je l’ai laissé, ainsi, baigner seul au lavabo, sans le déranger, en venant jeter un discret coup d’œil de temps à autre, pour m’assurer qu’il n’avait besoin de rien…
-Tout va bien monsieur Cuissard?
-Oui oui, ça va…
OK. Je sors. Je reviens.
-Alors ça baigne?
-Ouais, j’ai dit!
Pas jaseux le cuissard. Je l’ai ensuite rincé pendant de longues minutes en lui massant délicatement le mou.
C’est à ce moment-là que son attitude a changé.
-Cout’donc… Ça achève tu ton affaire?!
Je reculai d’un pas, pris d’un malaise… Inquiet, je m’essuyai les mains, et je m’enquis.
-Est-ce tu parce que je vous manipule avec trop d’indélicatesse, votre Altesse de la Cuisse?
Il me répondit abruptement.
-Non. C’est parce que je viens de passer la journée entre le siège pis ta raie, et pis j’ai ben hâte que tu me sacres la paix!
Ah! Soudainement, toute ma perspective a basculé… Je me suis mis à sa place.
J’ai compris qu’après m’être tapé de la selle pendant 10 heures, ça ne me dérangerait pas du tout de me faire rapidement frotter-rincer-tordre et qu’on en finisse, au lieu de me faire taponner du bout des doigts comme un poussin de velours…
Et le soleil qui pourrait m’abimer?
Là dessus, je ne serais aussi pas plus catholique que le Pape : si ça faisait déjà 12 heures que j’écumais au soleil, un peu plus ou un peu moins…
-C’est toujours ben quand même mieux que de se faire enfiler mouillé le matin?
Et là-dessus, il a bien raison, mon nouvel ami cuissard : l’enfiler mouillé le matin, c’est un peu comme le souvenir que j’ai de me remettre sur le dos mon stock de hockey qui n’avait pas eu le temps de sécher, et pis qui sentait comme pendant la game contre Chomedey.
Même si on l’avait gagné 12-0 et qu’il fleurait bon encore, pour citer Paco Rabanne, l’Odeur de la victoire.
Puis, quelques kilomètres plus tard, avec l’aide d’un texte qui n’en finit plus –vous aurez été prévenus!-, je vous ai amenés avec moi dans la famille de Jak, Ploy et August, pour un joyeux festin de crevettes, entre autres gâteries, et pour y être toujours aussi bien accueilli par Maman et son sincère « assis-toi pis mange! », et par Papa et son obligatoire verre de whisky.
Étant donné que je n’avais pas le temps de faire du ménage dans mes méninges, je vous ai juste tout écrit, à mesure, comme dans une vue… Sortez le popcorn!
Khok Kloi
Quand je débarque à Khok Kloi, une sympathique petite ville de 3227 habitants, j’ai beaucoup de difficulté à passer inaperçu. Je suis trempé, nauséabond, et j’ai seulement envie de me doucher. Mais Jak n’a pas terminé sa journée de travail, alors je fais un détour par la rue principale. Au 7-11, la jeune femme au comptoir me reconnaît. Elle rit à mon air déglingué, et sans doute du fait j’ai un coup de soleil qui me donne un air de panda à cause des lunettes fumées… Elle dit aussitôt à sa collègue que je parle thaïlandais, au cas où l’autre aurait le goût de traduire ses pensées. Elle me demande où je vais.
– Chez Jak.
– Jak travaille à l’hôtel maintenant.
Je sors. Je m’ouvre une canette de Leo. Je la taris toute, d’une seule gorgée. Un ami de Jak qui passe en VUS s’arrête et me klaxonne.
– Hey Bruno, pai nai ma?!
D’où t’arrives? Où vas-tu… As-tu mangé? Les trois questions premières qu’on vous pose en Thaïlande. Ici, on se fout de savoir comment ça va.
– J’arrive de Ao Nang Krabi!
– Ron mai, khap?
Oui, il a fait chaud, khap! Ça paraît?
Il m’invite à l’anniversaire d’un ami de Jak, au Spa Layburi, un endroit que je connais bien parce que c’est là d’où on part pour faire notre jogging sur la plage. Je lui réponds que je vais voir avec Jak d’abord. Il m’assure que Jak y sera. Il pointe en direction de ma canette, et il ajoute « free beer »!! Il décolle.
Mon téléphone sonne. C’est Jak.
– Bruno, t’es où?
– Au 7-11.
– Viens nous rejoindre au Spa Layburi, c’est l’anniversaire de Pid.
– On ne soupe pas à la maison?
Je suis confus. Chaque fois, à mon arrivée à Khok Kloi, j’ai l’habitude du souper d’accueil en famille, et j’en suis venu à croire que c’était peut-être une tradition…
– On ira plus tard, parce que la copine de Pid a préparé une surprise et elle aimerait qu’on soit là pour manger le gâteau d’anniversaire. Allez!
Et il raccroche.
Ça, aussi, c’est très typique des thaïs. Ils te raccrochent toujours au nez. Pas de flafla au téléphone. Je pose donc ma canette vide au bord du trottoir (parce que la meilleure manière de recycler est de laisser le « recyclable » bien en vue pour la dame et/ou le monsieur qui patrouille le voisinage avec un gros sac et qu’on nomme poliment en thaï « ceux qui acquièrent de vieilles choses ») et je roule jusqu’au Spa Layburi. Dehors, en face, sur une grande table, des légumes, du riz, des poissons, des salades de papayes vertes, et d’autres plats du sud que je ne connais pas mais que je pressens très épicés. Pid, le fêté, et la gang du Khok Kloi Cycling Team sont tous là. Ils se marrent de me voir apparaître seul avec mon gros vélo chargé, au soleil couchant. Kung le facteur – celui qui tire en général le groupe, et peut tenir une moyenne de 35 sur 120 km sans dépasser la zone 3 – s’avance avec deux bières, et il m’en offre une, avec un bon gros hug. Ils sont rarement aussi « affectueux » ici, mais Kung est particulièrement heureux de me revoir, et avec raison : il est un maudit bon gars, plein de potentiel d’athlète de pointe, mais il n’a pas eu de chance dans la vie, il ne gagne pas beaucoup d’argent, et il est équipé comme la chienne à Jacques; alors moi, il y a quelques mois, comme j’avais des souliers de course Saucony neufs qui me blessaient aux talons et qu’on chausse le même point, plutôt que de les revendre sur Lazada, je lui ai envoyé la paire dans une belle boîte avec un chou dessus en lui écrivant à la blague que je prenais désormais 15% sur ses bourses de courses.
Et les souliers il les portait là, justement, et sa montre indiquait qu’il avait couru 10 kilomètres en 55 minutes. Moyenne de 5:30? Je le taquine.
– Qu’est-ce t’as fait Kung, t’es allé en marchette ou quoi? T’es certain que les souliers ne sont pas trop grands pour toi?
Il rit.
– C’est parce que je venais de finir la «bike ride de Phang-nga », et j’étais un peu fatigué…
La « bike ride de Phang-nga », c’est plus de 100 kilomètres de vélo avec plusieurs centaines de mètres de gain. Pas facile.
On cogne nos bouteilles.
Jak arrive au même moment avec sa petite famille. Sawasdi khap! Il me montre que Kung porte mes anciens souliers neufs. C’est Jak qui avait eu l’idée. Je lui réaffirme que c’était vraiment une bonne idée (kwamkid di jing jing!), mais que Kung n’est même pas foutu de réaliser mieux qu’un 10 kilomètres en 55 minutes avec mes beaux Saucony… Et que je veux les ravoir mes souliers, tant qu’à les voir tristes de ne pas avancer! Kung, faussement triste, fait semblant de me redonner mes souliers. Je recule d’un pas en me pinçant le nez.
– Mai Ao!! Men mak mak!
On rigole. Et la discussion est repartie de plus belle!
Je dis « discussion » dans un sens large, parce qu’à Khok Kloi, ils parlent le thaïlandais du Sud avec un accent très riche et avec un débit presque aussi rapide que celui de mon oncle Bernard de Gaspésie (« çafaqu’làtarnac! »), et parce qu’ils ne comprennent qu’à moitié mon thaïlandais de bébé, je vous jure qu’on en gesticule une shot, comme dans la scène que je viens de vous décrire! Je voudrais tellement un jour filmer nos conversations, et en calculer en termes de pourcentage la part de la pantomime…
Pas grave, on finit tjrs par se comprendre : on rit, on mange, on boit, on attend la surprise, qui était le gâteau finalement; puis on bouffe du gâteau, et Jak à brûle-pourpoint m’envoie :
– Allez Bruno! Go! Faut aller souper à la maison!
– Pardon?!
Ça, ce genre de lapin qu’on sort d’un chapeau, je dois vous préciser qu’entre nous (Boris, Nang, Bird, Bo, Tan et Cie), c’est ce qu’on appelle « The Jak style » : avec lui, quand tu penses qu’une chose est terminée, souvent, elle ne fait que commencer; quand tu crois qu’il est l’heure de rentrer, souvent, c’est le moment qu’il choisit pour t’annoncer qu’on s’en va ailleurs, pour faire un autre trucmuche dont il ne t’avait jamais parlé. Il a comme sa Loi de Murphy à lui.
Monsieur Surprise!
Chez Papa et Maman, la table est mise, avec deux grands bols de ce que j’estime être au moins 5 kilogrammes de crevettes… Tout cela a l’air délicieux, malgré que je n’aie plus faim du tout… Mais refuser, ici c’est impoli! Et est aussi considéré sacrilège, l’air de « manger du bout des lèvres »…
Je remange donc, et je rebois, avec au moins autant d’appétit que j’ai de respect pour l’hospitalité qu’il m’offre, c’est à dire goulûment.
À table, au moment du digestif (un dernier whisky), comme mon ventre va briser (expression thaïe) et que je suis un peu ivre, Jak en profite pour m’annoncer que le lendemain matin on sort à vélo, à 6 heures.
-Rien qu’un petit 30 kilomètres à toute vitesse entre amis?
Il me fait un clin d’œil. Je fais mine de me cogner la tête sur la table, en signe de découragement. Ploy sa copine se moque de moi. Elle aussi les connait ses « amis », et elle sait très bien que je vais souffrir!
-Bruno est trop vieux? Bruno veut se servir de ma moto?
Précision : ce n’est pas un hasard si je suis ici, parce que c’est ce qui est formidable dans le fait d’avoir des partenaires d’entrainement plus jeunes : faut que tu relèves des défis physiques, souvent en dehors de ta zone de confort, que la plupart des gens de ton âge ne se lancent plus; peut-être parce qu’ils ne viennent pas aussi naturellement à l’esprit, après 50 ans… Même si la veille, t’as charrié ton gros VTT sur 120 km, contre le vent, parce que pour eux, ce n’est pas une excuse.
J’aurais pu répondre que j’étais trop fatigué. Et perdre la face. Et faire honte à mon ami Jak, aux gens de mon âge et à mon pays…
– Il est où, ton ami Bruno, Jak?
– Ah, il est fatigué. Désolé…
– Pff! Les vieux du Canada… tous les mêmes!
Le lendemain matin, à 6 heures je suis prêt. Le casque sur la tête, dans le garage, avec mes souliers aux pieds. Jak sort de sa chambre à coucher en bobette.
– Bruno, wait!
Je grogne, à moitié en christ.
– Attendre? Oh non! Tant pis pour toi Jak, et essaye de me rattraper maintenant!
Comme j’ignore où l’on va, je reste sagement à attendre. Je sais par contre que je lui ai mis un peu de pression… J’ai quand même fait l’effort de me lever à 5h30!
On finira par partir à 6 heures 30 (le vrai 6 heures, « heure de Thaïlande », je n’apprendrai donc jamais!) pour rejoindre le groupe, qui avait picolé tard la veille, au Spa de Pid…
Ç’a roulé quand même en ta’, et le groupe m’a écarté dans toutes les montées. Mais y’a pas de déshonneur, c’était tellement beau de les voir rouler.
Puis, en rafale voici toute la journée : on s’arrête boire un café, on prend une douche, on saute dans la voiture avec Ploy, on reste pogné une heure dans le trafic à Phuket, on s’arrête pour un autre café, puis à midi pile on se tape un gros buffet japonais, ensuite stop pour thé vert et gâteau à la noix de coco, je m’endors dans la voiture, «Bruno, on est arrivé! », je m’assois dans la chambre dix minutes pour vous écrire, Ploy cogne à la porte.
-Jak va au champ « couper de la palme », tu veux y aller avec lui?
Difficile de refuser, je n’ai jamais fait ça, « tad palm ».
La famille possède, entre autres entreprises, deux petites palmeraies. Et on ne parlera pas ici svp de la destruction des forêts tropicales et des tourbières ni des méfaits de l’huile de palme sur la santé dont nous sommes tous conscients, parce que dans leur cas ce sont deux petites cultures familiales qu’ils entretiennent depuis des générations, qui desservaient la population locale, et que de quoi je me mêle.
Or, couper de la palme, en ce qui nous concerne aujourd’hui, c’est « ramasser avec un grand pic des espèces de grosses grappes de fruits de palme qui pèsent une tonne et qui sont couvertes d’épines qui t’arrachent les mains, les sacrer dans la boîte du camion tout en se faisant bouffer par des moustiques format géant, et pis ruiner tes amortisseurs et l’embrayage de ton truck afin d’aller vendre le tout à la balance du village pour des pinottes.
– Mon grand-père gagnait de l’argent! Maintenant, on continue à récolter seulement pour donner un peu d’ouvrage à mon oncle et mon cousin. Mon père voudrait s’en débarrasser, mais personne ne veut acheter. Les grosses compagnies ont tué le marché local…
C’est une maudite job tough dans un monde dur.
Aussitôt rentré du « tad palm », alors que je crois ma journée pas pire terminée et que la petite aiguille sur l’horloge s’approche de « Beer o’clock », Jak me demande de me préparer, immédiatement, d’abord pour un 25 kilomètres « tranquille » à vélo, avec des nouveaux amis, sur un circuit que je ne connais pas, qui nous mènera ensuite, comme par hasard, au fameux bassin, tu te souviens du bassin?, autour duquel nous allons tous courir autour de 18 heures…
– Excuse-moi, j’avais oublié de te le dire ce matin qu’on allait courir.
Fuck yeah!
C’était agréable, le vélo, même si pas tranquille pour cinq cennes : Khok Kloi est un super beau coin de pays pour les cyclistes, tout en collines et en courbes, et voilà peut-être pourquoi ils sont aussi nombreux; et dans le groupe, j’ai triché en profitant d’un cycliste un peu plus lent et plutôt corpulent qui m’a trainé dans son sillon tout le long…
C’est à la course que j’ai voulu un peu mourir.
Suite au buffet du midi, avec le rush, y’a rien qui a vraiment eu « le temps de descendre »… Il y a à peine une demi-heure, quand je courais, je rotais encore le maquereau. Burp! Puis le bœuf à l’ail. Buuuurp! Puis l’espèce de petite bouboule panée qui devait être du porc mais qui goutait la crevette. Buuuuuurp! À l’heure du souper, j’avais genre, comme, pas faim?
Mais, la table était mise. Maman m’a lancé le laconique « assis-toi pis mange », Papa m’a versé un whisky, et vous connaissez le reste de la chanson. Ça fa que, on bouffe encore comme des cochons, et Jak me demande si je voudrais aller voir, plus tard, un autre de nos amis, Tam, qui joue ce soir dans un band, au petit pub local d’à côté, où on vend de la bière en fût.
– Bière en fût? C’est le mot magique mon Jak… Plus tard dans combien de temps?
– I don’t know… 10 minutes?
Wow. Jak strikes again!
Au petit pub, qui était en fait un grand resto-bar appelé le Fachi (du nom du couvercle grillagé qui protège la bouffe laissée sur la table en Thaïlande), sans doute inspirés par le plafond cathédrale, Jak et moi, on s’est commandé une tour.
Ploy est venue nous rejoindre avec le petit August. On a mangé des frites. Pas parce qu’on avait faim, mais bien parce qu’on ne boit jamais sans manger en Asie. Tout avait l’air normal, jusqu’à ce que le band se mette à chanter « Happy Birthday to you », et que l’ami Tam s’avance lentement à travers la foule, avec un morceau de gâteau et sur lequel on avait allumé une bougie. Je me mets à chanter avec la foule. Happy birthday! C’est la fête à quelqu’un! Tam continue à s’avancer, on dirait qu’il vient vers notre table, je regarde derrière il n’y a personne, et Tam vient, finalement jusqu’à moi, qui étais encore en train de chanter joyeux anniversaire, en tapant des mains…
La foule m’applaudit et crie.
-Happy birthday! Happy birthday farang!
Ostie que je l’ai ri! Parlant de tour, c’est la première fois qu’on me le joue, celui-là!
Bravo Jak, Tam et Ploy.
Est-ce que j’étais gêné? Un peu, oui, mais non, au fond… J’étais surtout fier de mes amis. Quel bon gag vide, inutile à souhait, et complètement sorti de nulle part…
Comment, et pourquoi ils ont pensé à ça?
– Ta fête est ce mois-ci Bruno, non?
– Oui, mais dans 3 semaines! Ha ha ha!
– On le sait. C’était juste au cas où on ne se reverrait pas d’ici là…
– Pardon?
J’ai ravalé mon rire bête… J’étais soudainement très ému.
C’était même pas pour me faire une farce! C’était pour être gentils…
Et c’était moi, la farce.
Celui qui croyait qu’on voulait rire de lui.

À suivre

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